Une petite histoire de peur...
Je tournais la clé dans la fente et je sentis celle-ci vibrer dans l'engrenage. Nerveux, mes mains moites ne m’aidaient pas à tourner la poignée. Je glissais et m'enrageais.
Enfin, au bout d'effort de détermination et de patience , j’y parvins. Je refermais délicatement la porte de chêne gravé derrière moi et enclenchais systématiquement le mécanisme de fermeture tout doucement. Malgré l'âge des matériaux de cette bâtisse, à peine un cliquetis était perceptible. J’étais le génie de la serrure. Me voilà désormais barricadé. À peine un son pour réveiller une souris grise qui dormirait sous le plancher et hop me voilà à l’intérieur comme un voleur. Je retenais mon souffle au point de me faire violence au poumon. Conscient que le moindre bruit pourrait m’attirer des troubles. Je savais que le jardinier faisait toujours une dernière vérification le soir avant de partir pour y revenir seulement à 6h00 le lendemain.
Enfin, je me félicitais, car il s'agissait déjà d'un exploit d'être parvenu sans être vu dans la maison. Être découvert à cette étape-ci serait une grande frustration.
Une fois mon intrusion faite dans la chambre, je figeais soudainement. L’endroit était sombre. Très sombre. Je sentais déjà les ténèbres m’opprimer. Je n’aimais pas la noirceur. Depuis mon enfance, j’avais la sensation d’être épié dans l’obscurité. Je n'ai jamais apprécié cette sensation de vide. Petit je combattais avec mon père les monstres qui s’y cachaient.
C’était comme si je revenais à mes vieux jeux d’enfants angoissants. N’ayant jamais été totalement convaincu que ce n’était qu’en fin de compte que des jeux. J’avais toujours cette impression que quelque chose…un être vil se cachait dans les coins les plus obscurs. Et cette maison…Le froid qui y règne. La noirceur des lieux…cette chambre.
J’aimerais tant m’y faire de la lumière pour y voir plus clair. Comme si la clarté faisait fuir les monstres nocturnes. Mais il était impensable d’ouvrir l’interrupteur, je dénoncerais ma présence aussitôt. Alors je devais avancer sur ce chemin à l'aveuglette. Une lampe de poche aurait été certainement utile, mais encore moins brillante. Les carreaux de la fenêtre illuminés auraient attiré la police. Le vieux gardien des lieux d'accord, mais pas les flics. Qu’est-ce que je dirais alors une fois arrêté?
-Désolé monsieur l’agent, je voulais valider la théorie du vieux jardinier. Vous savez…Le monstre qui vit dans les ténèbres de cette maison.
Entre mon argumentation étrange et les faits que j’étais incontestablement entré par effraction dans la demeure de mon voisin…la question de choisir de ma culpabilité ne se poserait pas longtemps. Même mes parents ne pourraient me défendre sur ce coup.
Ce vieux jardinier de la maison était une inquiétante présence. Cet homme travaillait pour un propriétaire toujours absent. J’étais venu à croire qu’il s’agissait d’une riche personne qui voyageait toujours pour son travail. Et cette vieille maison tout en ruine était un héritage familial. Attaché par ses souvenirs, son propriétaire n’avait jamais été capable de la vendre. Du moins, c’était l’histoire que je mettais imaginé.
Le jardinier posait toujours ses yeux verdâtres sur moi et il prenait ce regard énigmatique que je ne savais déchiffrer. Sans jamais m’adresser la parole. Il ne faisait que me regarder passer devant l’entrée pour me rendre à l’école. Et à mon retour, il était là, fidèle au poste, momifié, m’observant me diriger vers ma maison.
Cependant, cette journée-là, en cette fin d’après-midi nuageuse, lorsque je revenais de mon quotidien d’écolier, il m’avait fait de grands signes de la main. C'était la première fois que je l'avais vu avec un tel comportement. Normalement, il ne faisait que rôder autour de la baraque et m'observer étrangement. Mais cette fois-là, l'homme avait carrément changé d'attitude. Ce qui évidemment, me rendit aussitôt très nerveux.
J’hésitais à m’approcher. Mais le vieux continuait de balancer la main dans les airs, insistant. Donc, tranquillement, je mettais dirigé vers lui. Sans savoir ce que cette simple politesse entrainerait. Je ne savais pas que ma journée qui s’était annoncée banale prendrait une tout autre forme à la suite de notre discussion.
Le jardinier m'avait empoigné le bras brusquement. Je ne me débattis pas, car ce qu'il allait me confier, je le sentais au plus profond de mon être, cela dépasserait ma simple compréhension de mon univers. Il me tourna en direction d’une pièce au deuxième étage.
L'homme pointa son doigt maigrichon vers les carreaux rouges de la fenêtre.
-La créature nous observe, dit-il.
Je regardais en direction d’où pointait son doigt et je vis une ombre s’éloigner des fenêtres à ce moment-là.
-Pourquoi y travaillez-vous alors, Monsieur Emmett? Demandais-je tout naturellement incrédule.
L'homme me lâcha finalement le bras, prit un air terrorisé.
-Je ne peux pas la quitter. Je dois faire ce que la créature me demande.
Je déglutis et sans assurance, j’avais invité mon interlocuteur à dénoncer son employeur aux normes du travail. La créature qu’il nommait ainsi était peut-être tout simplement une vieille chipie qui ne reconnaissait pas son travail. Mais il me fit de grands signes de négation de la tête.
-Ce soir c’est la pleine lune.
Le jardinier m’expliquait que la pleine lune était un moment de grande vulnérabilité pour la créature. L’être devait sortir et chasser pour reprendre des forces. C'était le seul moment dans le mois qui était permis de sortir de sa prison.
Je n’avais pas écouté la fin de ce qui aurait pu être une très jolie histoire d’épouvante. J’étais rembarqué sur ma planche lourde d'auto-collants de tête de mort et j'étais retourné dans l'allée de béton de ma maison. Il m’avait alors crié d’où je l’avais laissé en plan, que je devais entrer dans la maison de la bête ce soir sinon il serait trop tard.
Trop tard pour quoi? Je ne savais pas. Et sincèrement, je ne voulais pas le savoir. Mais toute la soirée j'étais demeuré songeur. Je mettais accoudé à ma fenêtre et je regardais la cabane vis-à-vis ma propre chambre. Mes pensées défilèrent à une vitesse folle plongeant dans mon imaginaire étoffé et vagabond.
Nous étions arrivés il y a moins de trente jours dans cette maison qui mes parents, réellement ravis, avaient eu un très bon prix pour celle-ci. Le voisinage était quasiment désert à l'exception des quatre étages qui nous plongeaient à une vieille époque, riche et opulente. Peu de marcheurs, peu de jeunes de mon âge, soit 15 ans et il semblait incongru d'accuser à tort le propriétaire, notre vis-à-vis.
-M'man? Interpellais-je lorsqu'elle passa avec une brassée de linge blanc dans le couloir.
-Oui Kev ?! Dit-elle en hurlant de son côté du couloir se dirigeant comme une guerrière sans peur jusqu'aux machines à laver.
-Pourquoi les anciens proprios t'ont vendu la maison?
-Pourquoi tu me demandes ça? dit-elle d'une voix en écho dû à sa tête dans le sèche-linge.
-Bah! pour savoir-là.
J'entendis la porte ovale de la machine fermée brusquement. Ma mère claquait les portes férocement seulement quand elle hésitait à nous dire quelque chose sur le coup de l'émotion. Ce n'était pas bon signe de ce que j'en devinais. Pire! Elle abandonna sa tâche ménagère et pénétra dans ma chambre. Ma mère regarda mon bordel et me sourit gentiment. C'est là que je sus que je n'aimerais pas ce qu'elle allait me dire.
-Leur fille...a eu un grave accident.
Je questionnais ma mère sur le genre d'accident qui avait eu lieu. Elle hésitait à m'en dire davantage.
-Elle a été retrouvée dans le champ voisin. La pauvre ado avait perdu beaucoup de sang.
De sang? Une créature vivant la nuit qui tut en vidant le sang de ces victimes. Un frisson me parcourra l'échine. Un jardinier obligé d'obéir à un propriétaire discret. Était-ce...non! Impossible. Ce genre d'histoire aux dents pointues n'apparaissait que dans les romans!
-Quel jour elle a été retrouvée la fille?
-C'est une drôle de question Kev, voyons!
-M'man! s'te plait, répond.
Ma mère plongea un long regard triste sur moi. Elle caressa ma joue et avant de se lever et repartir à son devoir de patronne de maisonnée, elle m'embrassa et me dit qu'elle m'aimait très fort.
Une fois qu'elle eu disparut dans le couloir, mon regard se posa alors sur la maison soudainement rendue inquiétante. L'ombre à la fenêtre n'y était pas. Je me décidais enfin, j'irais l'explorer et pister cette créature cette nuit. Je devais trouver une façon de l'anéantir, car je ne serais pas sa prochaine victime ni mes parents.
Ainsi, je n'allais pas voir le gazon jaunir et ma tête se remplir de contes et de récits terrifiants. Je devais réagir immédiatement. L'idée germa dans ma tête avec une grande lucidité. Le jardinier m'ayant aidé sur la voie, je devais aller à la rencontre de la vérité. Mais comment m'assurer que ce n'était pas un piège de sa part? Le mois n'était pas encore terminé et la créature pas encore rendue à l'étape de se nourrir. En étais-je sûr? Non. Mais je n'avais pas d'autre choix non plus.
***
Avais-je eu tort d'entrer dans cette maison hantée? Me demandais-je à l'instant prisonnier de ma phobie des abîmes.
Un craquement soudain me sortit de mes pensées. Les battements de mon cœur affolés venaient jusqu’à mes tempes. Le bruit recommença. Un couinement long et désagréable. Quick-Quick-Quick.
Je tournais ma tête vers le fond de la salle et c’est avec effroi que je vis les reflets dans les fenêtres. Et ce que je croyais venir du couloir, était finalement avec moi dans la pièce. Des yeux blancs lustrés scintillèrent dans la pénombre. Quick-Quick-Quick. Les yeux se balançaient dans le coin. Le son désagréable d'une chaise berçante de mamie troublait la quiétude du lieu.
Deux yeux vides, d'un blanc maladif, me fixaient intensément. J'étais complètement glacée de terreur.
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